L’Impudeur des choses
Au hameau des Ribières, un village abandonné près de Rognes, en Provence, trois personnages, qu’un même abandon a réunis, nouent leur vie en une étrange absence de Providence : Loisinger, peintre un peu fou et éthéromane, que passionne la putréfaction ; Séraphin Pouzigue, garde champêtre crasseux qui vit au milieu d’un troupeau d’oies avec sa chienne Thérèse ; et enfin Féli, mon fils si on peut dire, selon Séraphin, mais que Loisinger a rebaptisé « Poisson vague ».
Les événements installent l’horreur, mais comme à rebours. Les tarots, les miroirs, les animaux pourrissants, l’anamorphose constante de la vision du monde, la décadence, l’ésotérisme, n’obscurcissent rien, ne ralentissent rien. À travers l’énigme du paysage pluvieux, se déploie le faste très élaboré d’une écriture qui doit beaucoup à la fois aux poètes baroques et minutieux du XVIIe siècle, et au dandysme de l’auteur qui ne pose à rien d’autre qu’à l’observateur froid, un peu distant, qui va précipiter, par ruses successives, ses acteurs éperdus dans l’abîme final. Comme si, pour de tels êtres, le monde ne pouvait prouver son sens qu’en leur présentant leur propre mort. Autrement, comment l’horreur, dans laquelle on se contemple fasciné, pourrait-elle être dite, racontée, dénouée enfin, comme splendeur?